Textile versus usage unique : la crise sanitaire change-t-elle la donne ?
Rédaction
Face aux pénuries d’équipements de protection individuels (EPI) à usage unique, de nombreux établissements sanitaires et médico-sociaux se sont (re)tournés vers des articles textiles. Un changement de pratiques en meilleure adéquation avec les préoccupations environnementales actuelles. Une question fondamentale se pose désormais : entre produits réutilisables et jetables, lesquels privilégier ?
Réduction et valorisation des déchets, recours aux énergies renouvelables, recyclage systématique, limitation des produits et emballages plastiques… Partout autour de nous, les initiatives visant à réduire notre impact environnemental se multiplient. Si, pendant de nombreuses années, le secteur de la santé semblait quelque peu en retrait sur ces sujets, force est de constater qu’il s’invite aujourd’hui dans les discussions, s’interrogeant lui aussi sur la manière de diminuer son empreinte. Ses équipes et ses agents sont toujours plus nombreux à innover avec cet objectif en tête. Au Centre Hospitalier Intercommunal (CHI) Toulon-La-Seyne-sur-Mer, par exemple, a été mise en œuvre une méthode de bionettoyage à l’eau, basée sur l’utilisation de franges micro-fibres, d’électrolyse et de nettoyage vapeur*. À Toulouse, le Groupement de Coopération Sanitaire (GCS) Blanchisserie Toulousaine de Santé a pour sa part pu se connecter au réseau de chaleur de l’incinérateur équipant l’hôpital voisin. Des initiatives similaires se développent partout dans le pays, en particulier au sein des blanchisseries hospitalières, dont l’activité est par nature énergivore – et potentiellement polluante, eu égard aux substances rejetées dans l’eau. Très tôt sensibilisé à ces problématiques, le secteur a, de longue date, entamé des réflexions pour faire évoluer ses pratiques. « Dans les années 90, par exemple, nous consommions 18 litres d’eau par kg de linge traité contre 4 à 6 litres aujourd’hui », rappelait cet été le Dr Philippe Carenco, chef du service d’hygiène hospitalière du Centre Hospitalier de Hyères et président de la Blanchisserie Inter-Hospitalière du Var.**
Une crise révélatrice

Andy Nguyen, président de l’URBH. ©DR
Un impact écologique moindre pour les articles textiles

Raymond Morel, membre de l’ARTA et directeur général de la Buanderie Centrale de Montréal. ©DR
Concrètement, l’analyse du cycle de vie (ou Life Cycle Assessment) effectuée par l’ARTA rend compte de l’énergie et des matériaux utilisés ou perdus à chaque étape manufacturière – soit la production énergétique, la confection, le transport, l’utilisation de l’eau, les traitements des déchets… En se basant sur 1 000 utilisations, donc 1 000 blouses à usage unique et 16,7 blouses lavables pendant 60 cycles, l’étude « démontre, hors de tout doute, l’impact environnemental réduit associé à l’utilisation de blouses lavables plutôt que jetables », résume Raymond Morel. Les gains portent plus particulièrement sur quatre volets : l’énergie utilisée, qui diminue de 28 % avec les articles réutilisables ; les émissions de gaz à effet de serre (- 30 %) ; la consommation d’eau bleue**** (- 41 %) et la génération de déchets solides, dont la réduction est estimée entre 93 % et 99 %.
Une étude économique à mener
Bien que l’étude de l’ARTA, l’une des rares existantes à ce jour, ait été réalisée sur le continent américain et s’appuie à ce titre sur des valeurs certainement différentes de celles que l’on trouverait en Europe, elle n’en met pas moins en évidence des conclusions qui restent valables partout : en comparaison avec l’usage unique, l’utilisation d’éléments textiles a un impact écologique moindre. Ses ramifications économiques, qui restent à étudier, pourraient à terme peser dans le choix des établissements de santé. Mais la France ne s’est pas encore emparée du sujet. Particulièrement sensibles aux problématiques environnementales, Philippe Carenco recommande déjà à chaque établissement « d’analyser ses pratiques »pour faire les bons choix. « On avance souvent l’argument financier dans le choix de l’usage unique. Il est effectivement moins cher à l’achat. Toutefois, le prix frontal ne se résume pas à l’achat. Les coûts de stockage et d’élimination de ces produits, qui permettront d’obtenir une estimation globale, ne sont pas forcément pris en compte », note l’hygiéniste.
Plusieurs initiatives pour aller encore plus loin
Au-delà de cette double dimension écologique et économique, le débat autour du choix entre textile et usage unique vient de connaître un nouveau rebondissement avec l’arrivée de la crise sanitaire et des pénuries associées. « Cette crise a mis en lumière une problématique majeure : les tensions sur les circuits internationaux d’approvisionnement », constatait ainsi Andy Nguyen au début de l’été. L’arrêt de plusieurs chaînes de production, le ralentissement des transports intercontinentaux et les ruptures d’approvisionnements qui en ont découlé, ont en effet soulevé la question de la souveraineté de l’État – voire de l’Union Européenne. « Une meilleure compréhension de cet enjeu écologique et la réalité de la pandémie ont poussé plusieurs de nos clients vers une solution durable.L’aspect strictement monétaire a été remplacé par une préoccupation beaucoup plus axée sur la proximité d’approvisionnement et sur la continuité opérationnelle. Les articles lavables ont incontestablement gagné du terrain par rapport aux jetables », constate, outre Atlantique, Raymond Morel. Avec une industrie textile encore très performante, la France et ses partenaires européens pourraient bien avoir là une carte à jouer.
****L'eau bleue est une eau consommée lors du procédé et qui n’est donc pas retournée à son écosystème.
*Cette technique a été mise en place par le Dr Michel Brousse. Voir aussi page…
**Voir Hospitalia n°50, page 114.
***Voir Hospitalia n°49, pages 66-68. ****L'eau bleue est une eau consommée lors du procédé et qui n’est donc pas retournée à son écosystème.
Article publié dans le numéro de décembre d'Hospitalia à consulter ici.